Une étude menée par Haystack Analytics en début d’année, a révélé que 83 % des développeurs de logiciels souffraient d'épuisement professionnel (ou burn-out). Une situation alarmante à l’heure où le bien-être au travail est au cœur des préoccupations de nombreuses entreprises. Rencontre avec F., Software Engineer, qui a vécu cette situation et s’en est sorti et S., un Directeur des Systèmes d'Information (DSI) d’un grand groupe qui a accompagné l’un de ses collaborateurs pendant son burn-out.
Le burn-out ou épuisement professionnel est un état d'épuisement émotionnel, physique et mental lié à une (trop) longue période de stress dans le cadre professionnel. Il devient alors impossible de réaliser la moindre tâche même la plus simple, on se sent dépassé, fatigué et parfois même dégoûté de son travail. Il réduit le niveau de productivité, sape le moral et le niveau d’énergie.
D’ailleurs, ses effets négatifs peuvent se répercuter dans la vie personnelle, que ce soit avec ses amis, sa famille, ses enfants, etc. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de reconnaître les signes du burn-out au plus vite pour pouvoir sortir de ce cercle infernal.
Le terme “burn-out” est emprunté à l’aérospatial pour parler de l’épuisement du carburant d’une fusée qui cause la surchauffe et l’explosion du réacteur. De façon métaphorique, c’est exactement la même chose qui arrive à un individu souffrant d’épuisement professionnel.
Cette expression est apparue dans les années 1960 et a ensuite été conceptualisée par le psychanalyste new-yorkais Freudenberger en 1974 à l’occasion de son article intitulé “le syndrome du burn-out". Dans cet article, il observe l’apparition de symptômes d’épuisement professionnel chez de nombreux bénévoles des Free Clinics.
Cependant, le burn-out n’a jamais été reconnu comme une maladie professionnelle. En France, François Ruffin avait pourtant été à l’origine d’une proposition de loi en 2018, visant à "reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques liées au travail”, mais cette dernière avait été rejetée, car jugée inadaptée « à l’ampleur et à la complexité du problème ».
Pour commencer, il faut garder en tête que le burn-out est un trouble qui n’arrive jamais du jour au lendemain. C’est une dégradation progressive du moral dont les signes sont plus ou moins visibles en fonction des individus.
Il peut se manifester de différentes façons :
“Je me rappelle qu’un matin, on s’était retrouvés par hasard à prendre le tram ensemble, on parlait de banalités. Lorsqu’on est arrivés devant la porte de l’entreprise il m’a dit : “Excuse-moi j’ai un truc à faire, on se retrouve tout à l’heure.” Du coup, je suis entré et je ne me suis pas posé plus de questions que ça. Au fil de la journée, je voyais qu’il n’arrivait toujours pas. Et en fait, c’était un des signes du burn-out : le blocage, quand on n'arrive pas physiquement à traverser la porte et à affronter le monde du travail.” S, DSI.
“Il me disait “j’ai essayé, j’ai essayé, mais en fait je n’y arriverai pas. Je n’y arrive plus.” Et c’est là que j’ai vu ce côté désespéré. Je lui ai demandé ce qu’il s’était passé et il m’a dit qu’il avait un client qui était compliqué, très exigeant et qui changeait de priorité tout le temps et pour qui rien n’était jamais assez bien et rien n’allait assez vite. Il a ajouté “On n’en peut plus avec mes équipes, c’est épuisant on a l’impression de faire de notre mieux et finalement ce n’est jamais bien.”” S. DSI
“On ne s’en rend pas compte, mais ça vient petit à petit. Je m’endormais sur mon bureau l’après-midi, je pleurais pour un rien et je ne contrôlais plus rien.” F. Software Engineer.
“Ensuite, je me suis renseigné et j’ai vu, qu’effectivement, il y avait des signaux avant-coureurs. Comme le fait qu’il s’était peu à peu retiré du collectif. J’avais compris que c’était compliqué pour lui parce que tout devenait problématique. Or, notre rôle, c'est de résoudre des problèmes, mais quand il ne trouvait pas la solution à des choses simples ou que tout lui semblait extrêmement compliqué, ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille. À côté de ça, on ne discutait plus, il était complètement renfermé sur lui-même.” S, DSI.
Si les conditions de travail ne s’améliorent pas, d’autres symptômes plus préoccupants peuvent alors apparaître comme des troubles du comportement alimentaire, voire même toxicomanies (alcool, drogues, médicaments, etc.)
Le stress professionnel persistant peut déclencher des symptômes de la dépression, mais également d’autres problèmes de santé graves comme des maladies cardio-vasculaires, des diabètes de type 2 ou encore des affections musculosquelettiques et immunitaires qui aggraveront les symptômes du burn-out.
Il y a de nombreuses causes possibles au burn-out, mais en général, on distingue quelques facteurs à risques récurrents comme :
*Les 3 raisons principales du burn-out dans l’IT, selon l’étude menée par Haystack Analytics en 2021
“C’est le fait d’être consciencieux et de vouloir faire bien son travail qui entraine dans ce genre de situation. Ce sont souvent ceux qui sont les plus investis dans leur travail qui sont touchés par le burn-out.” F. Software Engineer,
Selon le rapport Tech Workforce 2020 de l'ISACA, 64 % des professionnels de la technologie et de l’informatique seraient affectés par l’épuisement professionnel.
“Si on veut gagner plus d’argent et gagner en responsabilités on devient manager, mais certains n’aiment pas ça ou ne le font pas bien. Du coup, on met de plus en plus de pression sur les épaules des développeurs pour tenir les délais. C’est un métier stressant, car ce qui remonte le plus ce sont les bugs donc les erreurs. Il y a très peu de bons côtés qui ressortent. On voit plus les mauvais côtés revenir que les bons. On a du mal à se dire qu’on fait du bon travail.” F. Software Engineer.
Ce constat s’était vérifié en 2018, à la sortie du, tant attendu, Red Dead Redemption 2 par le studio Rockstar (les créateurs de GTA). À ce moment-là, Dan Houser le co-fondateur de Rockstar, claironnait que certains collaborateurs avaient travaillé près de 100 heures par semaine pour mettre au point les 300 000 animations, les 500 000 lignes de dialogue et donc les nombreuses lignes de code pour le faire fonctionner. Pour Dan, ces emplois du temps inhumains étaient un très bon argument marketing afin de démontrer la qualité du jeu aux futurs utilisateurs.
D’ailleurs, dans le secteur du jeu-vidéo principalement, les périodes dites de “crunch” sont monnaie courante. Le crunch étant une période intense de travail qui se caractérise par la pression que subissent les employés ajoutée à la longueur des journées, voire des semaines de travail exigées pour atteindre les objectifs fixés.
Malheureusement, le concept du crunch n’est pas dédié au secteur du vidéo-ludisme. Même si dans les autres secteurs, il ne porte pas ce nom. Pour n’importe quel service IT, il existe des périodes très chargées où il ne faut pas espérer rentrer tôt.
En effet d’un point de vue business, l’un des facteurs de différenciation clé pour atteindre les objectifs commerciaux est le délai de mise sur le marché du produit autrement dit le “time-to-market” produit. En d’autres termes, il faut être le premier à sortir son produit dans le secteur des nouvelles technologies afin de pouvoir surpasser la concurrence. Or, pour pouvoir tenir les délais, le cumul des heures supplémentaires des salariés est un procédé habituel.
“Ce qui a été la cause, c'était surtout le stress des délais. On doit rendre quelque chose au client et il faut que ça marche. Parfois, je pense que dans certaines situations, on a du mal à mettre en perspective ce qu’on est en train de faire et on se fait submerger par le fait que je dois livrer telle chose à tel moment. Donc on se met à travailler plus, plus, plus pour juste atteindre l’objectif.” S, DSI
“À part s’arrêter et ne plus travailler il n’y a pas plus de solution selon moi. Il y a quelque chose de cassé et de rompu dans la tête du développeur à ce moment-là. Il n’y a que le repos, même avec des anti-dépresseurs ou autre” F. Software Engineer.
Enfin, lorsque vous revenez au bureau, il est important de réaliser un retour au travail progressif. Sans voir le côté opérationnel. Prenez le temps de créer à nouveau du lien avec vos collègues et de retourner au travail petit à petit.
“Il faut accepter que l’on est dans cette situation, même si c’est compliqué. Ne pas être bien doit s’accepter. C’est comme ça qu’on remonte la pente. Se battre contre soi-même ça ne marche jamais. Quand ça va mieux il faut se poser la question de savoir ce qu’on doit faire pour aller mieux et éviter que ça revienne. Cependant, il faut le faire après, surtout pas pendant qu’on broie du noir.” F. Software Engineer.
“Ce qui est parfois le plus difficile aussi, c'est le regard que peut porter le manager ou d’autres personnes de l’entreprise sur la personne qui est en burn-out. Dans la précédente entreprise où j’étais, on disait “ces gens sont fragiles”, “il n’a pas les épaules pour”, etc. Et ça m’avait beaucoup marqué parce que c’est injuste. C’était une personne avec un engagement très fort pour l’entreprise et ça montrait une forte méconnaissance du sujet de la part de ceux qui tenaient ce discours-là.” S, DSI.
Essayez de trouver avec lui ou elle une solution adaptée, du télétravail, un temps de congé, des aménagements des conditions de travail, etc.
Si le collaborateur prend un congé, prenez de ses nouvelles régulièrement et anticipez son arrivée au bureau. Faites tout ce qui est possible pour faciliter son retour en douceur que ce soit à titre individuel pour le salarié ou au niveau de l’équipe.
“Il avait pris quelques jours de repos. C’était important qu’il revienne et que petit à petit ça aille mieux. Donc les premiers jours, il a refait une prise de contact progressive, je lui ai dit de ne pas ouvrir ses mails, de discuter avec les uns et les autres et de se sortir de la tête le côté opérationnel pour prendre le temps d’aborder l’environnement social du travail. Après, c'est allé mieux et aujourd’hui ça se passe mieux. Mais je reste convaincu qu’il faut être vigilant en permanence sur ce genre de chose.” S. DSI
À moyen-terme, il est nécessaire d’agir sur l’environnement de travail afin d’éviter que cette situation ne se reproduise. En effet, le burn-out est un signal d’alarme fort quant aux conditions de travail dans l’entreprise. C’est pourquoi, il faut commencer par identifier les facteurs qui rendent l’environnement de travail négatif en demandant son avis à l’ensemble de l’équipe. Il est également possible de mettre en place une démarche de prévention commune.
“On en avait beaucoup parlé en Comité de Direction, et j’avais soulevé le sujet en disant qu’on ne pouvait pas juste sous-évaluer le problème en disant “C’est juste une fragilité individuelle” parce que peut-être qu’il y avait un problème plus profond dans l’entreprise dans notre manière de fonctionner.” S, DSI.
Il y a plein de façons d’éliminer les risques de burn-out, mais la meilleure est de mettre en place des actions pour réduire, voire éliminer les facteurs de risque.
“C’est à l’occasion d’un changement de manager au niveau RH qu’il y a eu une prise de conscience de l’importance du burn-out et de faire des formations pour l’identifier. Il y a eu également des réflexions autour de la qualité de vie au travail, etc. qui ont permis ensuite de dé-dramatiser la chose et de pouvoir se dire que si une personne ne se sent pas bien, c'est qu’il y a peut-être un environnement de travail qui n’est pas le bon.” S, DSI.
Voici quelques exemples d’actions collectives à mettre en place :
En résumé, protégez-vous et prenez soin de votre santé. C’est cela le plus important. Le travail n’est qu’une partie de votre vie. Une grosse partie certes, mais qu’une partie.