Vous connaissez sûrement le Design Thinking - méthode de gestion de l’innovation pour les non-initiés - mais avez-vous déjà entendu parler du Future Thinking ?
Nouveauté sur le marché ? Pas vraiment quand on sait que la méthode a été déployée aux Etats-Unis dans les années 50. Il fait néanmoins une arrivée timide depuis quelques années en France.
Même si le Design Thinking fonctionne réellement en France depuis 4-5 ans, l’étude des prospectives, elle, peine encore. Les dirigeants sont toujours un peu frileux et il y a un vrai sujet d’éducation à faire sur le marché. Un exercice difficile et rigoureux sur lequel il faut se dégager du temps et pour lequel il reste difficile de prouver un ROI à court terme. La pandémie que nous vivons aura certainement fait avancer les mentalités sur ce sujet.
Le sujet est très vaste et - on ne va pas le cacher - assez complexe. Notre objectif avec cet article est de mettre la lumière sur cette “nouvelle” tendance. Nous avons interrogé Julia Delrieu, spécialiste du sujet, qui anime des démarches stratégiques de Futures Thinking. Elle est également membre actif de l’association Girlz in web, pour l’intégration des femmes dans le numérique.
“L’étude des prospectives nous permet de prendre de la hauteur, pour voir quels éléments sont susceptibles de modifier notre écosystème. Il faut beaucoup de veille, c’est presque un travail de chercheur.”
Le projet RAND a été créé en 1946 en tant que projet conjoint entre les forces aériennes de l'armée des États-Unis et la Douglas Aircraft Company. Leur objectif était l'avenir des armes et la planification à long terme pour faire face aux menaces futures. Leur travail a constitué la base de la stratégie et de la politique des États-Unis en ce qui concerne les armes nucléaires, la guerre froide et la course à l'espace.
La finalité de ce groupe était de conseiller l'armée américaine, afin d'améliorer la politique et le processus décisionnel par la recherche appliquée et l'analyse stratégique.
Cette initiative a marqué le début de l'IFTF (Institute For The Future), un organisme s'engageant à construire l'avenir en le comprenant profondément. L'Institut se positionne comme étant une communauté au carrefour de l'innovation technologique, de l'expérimentation sociale et des échanges mondiaux. Le mouvement a vraiment commencé à décoller après le choc pétrolier des années 80.
Le “Futures Thinking” est mis en place dans les entreprises pour décrypter les nouvelles technologies et les nouveaux usages d’une solution ou d’un produit existant, via un processus créatif afin de générer de nouvelles opportunités business.
Pour certains, c’est la capacité d'envisager des scénarii pour un avenir souhaitable, plus favorable à l’espèce humaine. Pour d'autres, il s'agit essentiellement d'une approche plus systématique pour envisager l'avenir à plus long terme et développer de meilleurs moyens de faire face à l'incertitude.
“Le Futures Thinking, c’est le développement d’une posture pour élargir le champ des possibles. La différence avec le Design Thinking c’est qu’avec cette méthode on procède par entonnoir. Le groupe organise un brainstorming et on procède un peu par élimination. Alors qu’avec la méthode Futures Thinking, c’est un peu comme avancer avec une lampe de poche dans l’obscurité la plus totale : en fonction de l’endroit où l’on décide de pointer, on verra ce qu’on cherche”, nous explique Julia Delrieu.
Les entreprises utilisent également ces méthodes sur des exercices de réflexion sur le futur tels que la construction de scénarios pour «re-percevoir le présent».
“On voit un engouement depuis la Covid sur le futur des possibles. Les ateliers sont en général commandés par des clients qui vont ensuite mettre en ligne certaines études réalisées. La propension à expérimenter est forte si on est sur un environnement très compétitif ou sur des marchés à hauts risques. En général, les entreprises externalisent ce genre de projets à des consultants experts.”
Quelques exemples de succès détectés grâce à cette méthode sont listés ici.
Le “Futures Thinking” est, au final, vu comme une “pensée multi-avenir”. Il ne s’agit pas ici de prédictions, mais de pistes de réflexion. Une vision ne devrait pas être traduite par un plan directeur rigide (basé sur un avenir unique). Dans un monde très complexe et turbulent, il existe souvent de multiples interprétations, qui se basent sur les observations et interprétations de données.
Dans les références sur le sujet, vous avez Peter Schwartz, VP de SalesForce Strategic Planning ou encore en France, Daniel Kaplan. Vous pouvez retrouver ce dernier sur ce podcast où il explique comment et pourquoi il a fondé l'université de la pluralité.
Un signal pour une entreprise, qui va décider de constituer un groupe de travail, peut partir d’un événement, d’un brevet déposé, d’une réglementation politique par exemple. La méthode nous enseigne alors à développer la capacité de visualiser et d’aborder les sujets sans jugement.
La planification de scénarios, visant à encourager l’attention à l’ouverture et à l’incertitude irréductible de demain, va aider l’entreprise à améliorer la préparation à l’avenir qui pourrait survenir (plutôt que de se concentrer sur l’avenir préféré). Le cas de la Covid-19 est peut-être le meilleur exemple de ces 5 dernières années. Si ce scénario catastrophe avait été anticipé par une entreprise, elle aurait établi un protocole de gestion de crise.
Les enjeux sont nombreux :
De nombreux outils sont à la disposition de ce groupe de penseurs : les données historiques, les rapports d’experts, les tutoriels, la veille du marché, les analyses du parcours client… Tout peut être utile pour concevoir une stratégie pour un produit, explorer le potentiel d’un marché, estimer des ventes ou formuler des hypothèses de consommation.
Pour avoir une idée de ce qui pourrait nous attendre sur les 20-30 prochaines années, le centre de réflexion et d’études prospectives Futuribles (qui depuis 1960 joue un rôle moteur en France sur le sujet du “Futures Thinking”), a sorti l’an dernier son Rapport Vigie sur les « scénarios de rupture » possibles à venir.
“Cette méthode est finalement très associée à la science-fiction, un peu sur le modèle de “Black Mirror”. Les auteurs du genre ont par ailleurs une place importante dans la recherche, car la prospective, c’est la volonté de vouloir anticiper et comprendre ce qui va arriver et ouvrir le champ des possibles en se basant sur des faits et expériences courantes.”
Nous savons que la méthode du “Futures Thinking” fonctionne pour les entreprises avec une solution déjà mise sur le marché. Reste à savoir si ces méthodes sont aussi efficaces lorsque le produit n’existe pas encore, que le marché reste à définir ou que les usages d’une technologie ne sont même pas encore identifiés.